
Fourmicity
I.Polyéthisme de caste
La société des fourmis est une société matriarcale (exclusivement composée de fourmis femelles) divisée en 2 castes distinctes: les reines et les ouvrières. Le terme de caste pour les insectes sociaux comme les fourmis, désigne un groupe d'individus morphologiquement différenciés ou non qui est spécialisé dans une activité particulière. Cette division du travail au niveau de la reproduction est appelée polyéthisme de castes.
A. Les reines
D'une part, les reines présentent des dimensions supérieures à leurs congénères, ainsi qu'un plus grand abdomen. Dans un nid, il peut s'en trouver une ou plusieurs, leur fonction étant la reproduction. Une fourmilière possédant qu'une seule reine fécondée et fonctionnelle, est qualifiée de monogyne. A l'inverse si elle en possède plusieurs, elle sera définie comme polygyne.
Gyne: femelle reproductrice, qu'elle soit pondeuse ou bien encore vierge.
La reproduction chez les fourmis

La reine et les ouvrières de la fourmi de feu Solenopsis invicta.Les reines sont dotées d'ovaires très développés, ainsi que d'un réservoir particulier appelé spermathèque. C'est dans ce dernier qu'elles stockent et conservent les spermatozoïdes, pour des mois, voire des années, après l'accouplement. Cette conservation prolongée des spermatozoïdes au sein de la femelle est peu courante dans le règne animal et les mécanismes qui le permettent restent largement incompris. Les reines sont également les seules fourmis à pouvoir pondre des œufs fécondés. Elles sont dotées de 2 paires d'ailes avant l'accouplement. Ces dernières apparaissent après la nymphose (transformation d'une larve en nymphe). Cette caractéristique les définit comme membre de la caste reproductrice aux côtés des mâles. Pour mouvoir ses ailes, la reine dispose de muscles puissants logés dans son thorax volumineux. Le but premier des reines est de fonder une colonie, comme nous l'expliquerons ultérieurement.
La reine et les ouvrières de la fourmi de feu Solenopsis invicta.
B.Les ouvrières
L’appareil reproducteur de la reine (à gauche) et de l’ouvrière (à droite)D'autre part, les ouvrières sont de plus petite taille et possèdent des ovaires qui sont rarement fonctionnels. De plus elles ne disposent pas de spermathèque, ce qui rend impossible l'accouplement et le stockage de la semence des mâles. Elles restent donc stériles et économisent grandement de l'énergie qui aurait été nécessaire à la fonction de reproduction. Ce phénomène leur permet de se consacrer exclusivement à des tâches domestiques, comme le nourrissage de la reine et des larves par exemple.

L’appareil reproducteur de la reine (à gauche) et de l’ouvrière (à droite)
De surcroît les ouvrières sont aptères, c'est-à-dire qu'elles sont dépourvus d'ailes. Ceci est dû à l'évolution puisque les ancêtres des fourmis étaient des guêpes ailées. Cette perte d'ailes, bien que limitant les déplacements, se révèle être une innovation fructueuse. En effet la structure du thorax en est ainsi grandement allégée. Au vu de la petite taille des ouvrières, de leurs organes reproducteurs et de leurs thorax simplifiés, nous pouvons conclure que le coût de production d'une ouvrière est minime au sein d'une fourmilière. Ceci permettra donc une forte production de ces dernières au moindre frais. Ce partage des rôles au niveau de la reproduction est un trait spectaculaire, caractéristique des sociétés d'insectes. Un comportement analogue peut être observé chez les mammifères sociaux, comme les hyènes, ou chez les oiseaux avec les irrisors moqueurs par exemple. Ainsi certains jeunes individus renoncent à la reproduction afin d'aider leurs parents. Cependant ce comportement est temporaire, contrairement à celui des fourmis. Effectivement, la stérilité des ouvrières est congénitale puisqu'elles ne possèdent pas, dès leur naissance, la spermathèque indispensable pour qu'un accouplement soit opérationnel. Ce renoncement à la reproduction est nommé altruisme de reproduction. Les femelles ouvrières sont condamnées à renoncer à leur propre reproduction afin de mener à bien l'élevage des œufs de la reine.
C.Les mâles
Les mâles quant à eux sont limités à un rôle reproducteur qui est toutefois nécessaire à la survie de ces sociétés de fourmis matriarcales. Ils sont produits une fois par an par la reine. Membres de la caste reproductrice, ils sont habituellement ailés et de petite taille. Ils sont inaptes au travail à cause de leur mandibules rudimentaires et dépendent entièrement des ouvrières au niveau de l'alimentation. Ils ne restent toutefois que quelques semaines dans leur nid de naissance et partent ensuite afin de s'accoupler. Ils mourront peu de temps après.

D.Streblognathus peetersi: un exemple de fourmis sans reine
Il existe des sociétés de fourmis dénuées de reine, représentant 1% des espèces de fourmis recensées dans le monde, et où les ouvrières assurent donc également un rôle reproducteur. Le partage des tâches n'est pas basée sur des castes, mais sur une hiérarchie de dominance. Ainsi la société est divisée entre la dominante ("alpha"), les individus de rang social élevé ("hauts rangs"), et les individus de rang social faible ("bas rang").
Nous pouvons citer comme exemple les Streblognathus peetersi chez qui l'alpha est l'unique pondeuse. Le privilège de la reproduction est très convoitée et ceci résulte en de fréquents affrontements entre les ouvrières de hauts rangs.

Streblognathus peetersi
E.Parallèle avec la société humaine
La société des fourmis a été assimilée par de nombreux auteurs comme un superorganisme, soit un organisme composé et complexe. En effet des analogies existent entre les multiples castes des fourmis, qui sont chacune spécialisées dans un domaine, et les organes d'un organisme solitaire comme l'homme qui ont des rôles différents.
La société des fourmis atteint l'ultime degré de socialité (désir de vivre en groupe) avec le partage des tâches au niveau de la reproduction ainsi que l'élevage des larves (formes immatures) par leurs sœurs les ouvrières pendant plusieurs générations. On parle d'eusocialité.
Eusocialité: C'est le mode de vie sociale le plus élevé, avec 3 caractères fondamentaux:
1) l'existence d'une coopération dans les soins aux formes immatures.
2) le chevauchement d'au moins 2 générations, ce qui permet aux descendants d'assister leurs parents pendant une partie de leur vie.
3) la présence de femelles spécialisées dans la reproduction, les autres femelles s'investissant dans d'autres tâches. Ce caractère s'applique presque exclusivement aux insectes sociaux, dont les fourmis.
La division du travail a permis aux fourmis de rendre leurs sociétés plus productives, comme chez les hommes. Elles ont atteint l'apogée de l'évolution des insectes, de même que l'homme a atteint celle des vertébrés.
II.Les stratégies reproductives
Une fois par an, la reine donne naissance à plusieurs reines, souvent ailées en fonction des espèces. Elles vont rester pendant quelques semaines dans leur nid de naissance où les ouvrières vont les gaver afin qu'elles emmagasinent des réserves de lipides. Deux options sont alors possibles, la fondation indépendante ou bien la dépendante, d'une colonie. Ceci est déterminé par l'espèce à laquelle les reines appartiennent.
A.La fondation indépendante et la monogynie
La fondation indépendante implique que la reine élève elle-même la première vague d'ouvrières. La nouvelle société qui va en découler sera qualifiée de monogyne car elle ne comporte qu'une seule reine reproductrice.
Le jour de l'essaimage les jeunes reines encore vierges, appelées gynes, vont s'envoler afin de rencontrer les mâles des colonies voisines. Les mâles de leur nid vont faire de même. En France les vols nuptiaux se déroulent généralement du printemps au milieu de l’automne, lors de soirées chaudes et orageuses. L'accouplement en lui-même aura lieu sur le sol ou dans les airs en fonction des espèces. Le mâle va repérer la reine grâce à ses gros yeux saillants et aux phéromones sexuelles. La femelle va ensuite se dégager en abandonnant le mâle, qui incapable de se nourrir à cause de ses mandibules rudimentaires, périra rapidement. La reine n'aura été fécondée qu'une seule fois. On qualifie cela de monandrie.

Accouplement d’une reine de Formica paralugubris après le vol nuptial. Le mâle se situe à gauche et la reine à droite.
La fondation indépendante est extrêmement dangereuse pour les jeunes reines En effet sur mille d'entre elles, seules deux ou trois accompliront leurs desseins. Ainsi la prédation de divers oiseaux se révèle être une grande menace. Par exemple, lors du vol nuptial de la fourmi jaune Lasius flavus, on recense une importante quantité de mouettes qui font un festin des fourmis ailées. L'atterrissage en lui-même comporte également des risques. A titre d'illustration, la tôle des voitures de couleurs sombres, garées depuis plusieurs heures en plein soleil, se révèle être un piège mortel pour les Solenpsis fugax qui vont griller sur place. Une fois sur le sol, d'autres prédateurs sont à l'affût, comme les fourmis ouvrières d'espèces différentes, les araignées et les lézards. Afin de leur échapper la reine va se débarrasser de ses ailes, qui par leur miroitement attireraient l'attention de ses ennemis héréditaires. Cette cassure est rendue possible grâce à une nervure située à la base des ailes et améliore grandement l'agilité de la reine. Suite à cela elle va chercher une fente dans laquelle elle va pouvoir s'engouffrer. Le choix d'un bon terrier est primordial puisque la sécheresse et l'excès d'humidité sont des causes fréquentes de mortalité chez les jeunes reines fécondées
Ces dernières aménagent leur trou en chambre de reproduction où elles vont pondre une première couvée d'œufs. Elles vont ensuite les lécher et ils ne tarderont pas à éclore pour fournir de minuscules larves. La reine fondatrice va nourrir elle-même sa progéniture grâce à sa réserve de corps gras (stockée pendant sa période de maturation dans son nid de naissance). Elle va également user des substances nutritives fournies par la dégradation des muscles alaires (qui concerne les ailes) dont elle n'a plus usage. Elle va régurgiter aux larves ces aliments ou bien pondre des œufs alimentaires. Ceux-ci sont incapables d'éclore et ont pour but de fournir aux larves des substances nutritives dans un emballage facile à manipuler.

Les premières ouvrières vont faire leur apparition après la nymphose qui se déroule ou non dans un cocon. Elles sont de petite taille, d'une part à cause des réserves alimentaires limitées de la reine fondatrice, et d'autre part car cette dernière est pressée. En effet sa première descendance doit être produite très vite afin de pouvoir coloniser la terrain avant la progéniture des autres fondatrices. Les fourmis issues du premier couvain de la reine vont devoir sortir pour récolter de la nourriture. A partir de ce moment-là, la reine va cesser progressivement de nourrir les jeunes afin de devenir exclusivement une machine à pondre qui ne sortira plus jamais de la fourmilière. Ce sont ses filles qui prendront en charge l'entretien des œufs et le nourrissage des larves.

La fondation indépendante chez la fourmi de feu Solenopsis invicta. On voit des œufs, des larves et des nymphes dont certaines (les plus brunes) vont donner naissance aux premières ouvrières de la nouvelle société.
Les jeunes ouvrières quant à elles devront rester à l'affût des ouvrières des nids voisins, et tout particulièrement de celles de la même espèce, qui vont chercher à les tuer. En effet les colonies de même espèce sont en compétition directe puisque les ouvrières vont rechercher la même nourriture, au même endroit et à la même heure.
A.La fondation dépendante et la polygynie
Lors d'une fondation dépendante, les reines vont confier l'élevage de leurs premières filles à des ouvrières. Ce processus passe par la cohabitation durable de plusieurs reines au sein du même nid. La fourmilière sera alors qualifiée de polygyne.

La fondation dépendante se révèle beaucoup moins risquée que l'indépendante. Elle convient tout particulièrement à certaines espèces où les jeunes reines n'ont pas acquis assez de réserves énergétiques durant leur période de maturation afin de nourrir elles-mêmes leur premier couvain. La nécessité d'effectuer un long vol nuptial afin de coloniser des territoires lointains et de disperser ses gênes devient obsolète. Ainsi les reines des espèces concernées n'ont que quelques dizaines de mètres à faire, à condition de retomber dans un territoire riche en fourmilières de sa propre espèce. Elles vont ensuite pénétrer dans l'une d'entre elles.
Elles ont même perdu la capacité de voler. L'accouplement a alors lieu dans le nid de naissance, sans danger de prédation, et est qualifié d'intranidal. Diverses reines pondeuses doivent donc cohabiter intelligemment. La multiplication des sociétés s'effectue au moyen du départ à pied de quelques reines accompagnées d'ouvrières. On appelle ce phénomène une fondation par bouturage ou budding. La nouvelle société va s'établir à seulement quelques mètres du nid maternel et mènera sa propre existence en gardant contact ou non avec son nid d'origine.
La fondation indépendante et la fondation dépendante présentent toutes les deux des avantages et des inconvénients. La première stratégie est très risquée, notamment à cause des prédateurs, et présente un taux de réussite très faible. Cependant le vol nuptial porte les reines sur plusieurs kilomètres et leur permet de coloniser des territoires éloignés. La fondation dépendante est plus sécurisante et le premier couvain de la reine a bien plus de chances de voir le jour. Toutefois ce processus limite la colonisation lointaine et ne permet que de densifier un territoire déjà conquis. Certaines espèces font cohabiter ces deux stratégies reproductives.
C.Parallèle avec la société humaine
Les fourmis vivent en groupe et ont choisi de se sédentariser à l'instar des humains.
III.Déterminisme du sexe
A.Chez les fourmis
Le but ultime d'une société de fourmis est de produire un maximum d'individus reproducteurs (mâles et femelles) afin qu'ils puissent fonder de nombreuses nouvelles colonies. Ceci est possible lorsque le nid est suffisamment peuplé et mature, généralement au bout de 5 ans. C'est l'évolution qui conduit les fourmis à disséminer au maximum leurs gênes.
Le déterminisme du sexe chez les fourmis n'est pas basé sur les chromosomes X et Y comme c'est le cas pour les humains. En vérité, la reine peut pondre 2 sortes d'œufs. En effet elle a la capacité d'ouvrir ou fermer sa spermathèque, ce qui laisse passer ou non les spermatozoïdes. Ce processus de déterminisme du sexe a pour nom haplodiploïdie.Les œufs sont fécondés dans le premier cas et ils possèdent deux jeux de chromosomes (l'un transmis par la reine et l'autre par le mâle). Ils seront qualifiés de diploïdes et seront à l'origine des individus femelles de la fourmilière, qu'ils soient des reines ou des ouvrières.
Les œufs aboutissant à des reines et ceux qui donnent naissance à des ouvrières, diffèrent un peu par leur taille et leur réserve énergétique. Des facteurs environnementaux semblent avoir été à l'œuvre, comme la température subie par les larves soumises ou non à une hibernation par exemple. Chez certaines espèces où la reine est fécondée plusieurs fois (polyandrie), un facteur génétique semblerait intervenir dans le développement des larves. Ainsi certaines seraient plus disposées à devenir reines que d'autres. Toutefois c'est véritablement le régime princier à base de réserves de graisse accumulées pendant l'automne par des nourrices spécialisées (appelées replètes) qui va différencier les larves reines de leurs consœurs ouvrières.

Déterminisme du sexe et de la caste d'une fourmi
Dans le second cas où la reine ferme sa spermathèque, les œufs sont encore vierges. Ils vont subir un développement par parthénogenèse, c'est-à-dire sans intervention d'un mâle. Ils ne contiennent qu'un jeu de chromosomes transmis par leur mère. Ces œufs sont à l'origine des mâles de la société. Ce développement de l'ovule non fécondé est appelé parthénogénèse.Puisque la reine est à l'origine du sexe de ses enfants, elle produira exclusivement des filles lors de la fondation de sa colonie. En effet ce sont ces dernières qui la mèneront à la réussite de cette nouvelle société.
Les ouvrières peuvent pondre des œufs dans des circonstances particulières. Cependant ils ne seront pas fécondés et aboutiront donc à la naissance de mâles.
B.Chez les humains
Chez les fourmis, la reine peut donc choisir à loisir le sexe de ses enfants. A l'inverse l'homme ne le peut pas encore dans l'état actuel de la science. Des recherches plus poussées sur les gênes nous apporteront peut-être des solutions.